2. De jeunes gens et des villes intentent des poursuites en responsabilité civile
Des risques liés à la responsabilité civile pourraient émerger par suite d’actions judiciaires découlant de sinistres occasionnés par les émissions passées de gaz à effet de serre et de l’action ou de l'inaction climatique des gouvernements et des entreprises privées.
Certains demandeurs cherchent à récupérer le montant des dommages occasionnés par des événements extrêmes, alors que d’autres souhaitent obtenir une indemnisation pour les dépenses engagées pour se protéger des risques futurs. Bien qu'on s'attende à ce que ces actions en justice ciblent les principaux émetteurs, non pas les compagnies d'assurance ni les courtiers, l'industrie de l'assurance demeure exposée à des risques liés à ses investissements et aux garanties émises.
3. Gérer le changement n'est pas simple
Des risques de transition surgiront à mesure que la société se dirigera vers une économie à faibles émissions de carbone, entraînée par la dynamique de marché, l’innovation technologique, l’action politique et les nouvelles préférences des consommateurs. Ces risques seront de diverses natures, dont des risques de souscription, opérationnels, d'investissement et réglementaires.
Les assureurs doivent à la fois se tenir au fait des données sur l’évolution de la fréquence et de l’intensité des événements extrêmes ainsi que des nouvelles connaissances en matière de prévention des sinistres. Ils doivent également gérer la concentration de risques associés à des régions ou à des sinistres particuliers. Enfin, ils doivent savoir recourir à la réassurance pour réduire le risque d'insolvabilité.
Le présent rapport se penche sur l’augmentation prévue des risques physiques, des risques de responsabilité civile et des risques de transition associés au climat. On y explore plus spécialement les six questions fondamentales suivantes :
1. Quels sont les changements climatiques attendus au Canada?
Le climat du Canada a déjà commencé à changer, et les experts s'attendent à d'autres changements majeurs. Selon leurs prévisions, le pays se réchauffera, et les journées très chaudes se multiplieront.
Les épisodes de précipitations violentes devraient augmenter en fréquence et en intensité, et davantage de communautés pourraient être menacées par l’augmentation du risque de feux de forêt et de la durée de la saison des feux.
Le risque d’inondations côtières devrait augmenter en raison de l’élévation du niveau de la mer, qui menacera les infrastructures et les bâtiments côtiers. D’importantes périodes sans glace marine sont prévues dans la partie canadienne de l’océan Arctique.
La modification du climat canadien dans les 15 à 25 prochaines années est admise à un haut niveau de certitude. Ces changements seront imputables en grande partie aux émissions produites au cours des 100 dernières années et à d’autres décisions prises par les gouvernements, les entreprises et les particuliers.
Les changements climatiques à long terme, cependant, dépendront des émissions relâchées dans les 50 prochaines années et par la suite.

2. Pourquoi s’attend-on à une augmentation des dommages matériels?
On s’attend à une augmentation du nombre de personnes qui vivent, travaillent et jouent dans des zones à haut risque ou à risque croissant. Or, la plupart des infrastructures essentielles au Canada sont de plus en plus vulnérables et de moins en moins capables de fournir le haut niveau de service offert jusqu’à maintenant. Ces systèmes ont été conçus en prévision d’événements météorologiques modérés, anticipés en fonction des données historiques, et pour des populations moins importantes.
Alors que l’exposition au risque et la vulnérabilité accrues ont été les principaux facteurs de l’augmentation des dommages subis, jusqu'à maintenant, le climat devrait entraîner plus de volatilité dans les années à venir. À court terme, on s'attend à des phénomènes extrêmes occasionnels; à long terme, on prévoit une augmentation spectaculaire de la fréquence et de l'intensité de ces épisodes extrêmes.
3. Qui sera tenu responsable des conséquences climatiques?
Des preuves des changements climatiques ont été largement recueillies, mais les changements observés sont-ils imputables à des mécanismes naturels ou à l’activité humaine? L’attribution des changements observés est un exercice difficile en raison du grand nombre de facteurs naturels qui contribuent à la grande variabilité des mesures climatiques observées.
Toutefois, au cours des 30 dernières années, les modèles climatiques ont démontré leur capacité à distinguer les conséquences des forces naturelles de l’impact de l’activité humaine. Des preuves s’accumulent montrant une disparité croissante entre les observations météorologiques et l’expérience passée, laquelle ne peut s’expliquer que par l'intervention humaine.
Ces nouveaux éléments d'information sont en train de changer les perspectives en ce qui a trait aux obligations et à la responsabilité des entreprises. Plusieurs procédures judiciaires ont été lancées récemment aux États-Unis, dans le contexte desquelles les demandeurs pourraient se tourner vers le Canada pour tenter de recouvrer les frais engagés en raison de dommages imputables aux risques météorologiques ou climatiques extrêmes.
L'industrie de l'assurance n'a pas été ciblée par ces procédures, qui ont jusqu'à maintenant été engagées contre les grands émetteurs, mais elle demeure exposée à des risques liés à ses investissements et aux garanties émises, y compris à des risques de responsabilité civile professionnelle.

4. Comment la société effectuera-t-elle la transition vers la carboneutralité?
Le Canada opère une transition vers un avenir carboneutre : les émissions de gaz à effet de serre par habitant ont atteint leur plus haut niveau en l’an 2000, il y a 20 ans, et ont baissé de 20 pour cent depuis cette date. Le prix de l’énergie solaire, éolienne et provenant d’autres sources renouvelables concurrence de plus en plus celui du charbon, du pétrole et du gaz naturel pour une vaste gamme d’utilisations.
La transition vers un avenir à faibles émissions de carbone n'est pas sans conséquence sur les investissements – l’industrie de l’assurance de dommages investit plus de 100 milliards de dollars au Canada chaque année. Il y a maintenant de nouveaux outils et pratiques qui permettent de mesurer et de gérer le risque climatique des investissements, mais tous reposent sur une nécessaire divulgation de l'information.
Un nombre croissant de consommateurs et d’employés affichent leur soutien aux organisations qui s’engagent à favoriser la responsabilité sociale et les mesures qui tiennent compte des changements climatiques. Les mesures adoptées par ces organisations auront une incidence directe sur leur réputation.
Les changements climatiques ont été décrits comme un « super problème », et quatre aspects du problème le rendent beaucoup plus difficile à résoudre :
1. le temps commence à manquer;
2. ceux qui sont à la source du problème sont aussi ceux qui tentent de trouver la solution;
3. personne n’a l’autorité d’imposer une solution;
4. les décideurs ne tiennent pas entièrement compte des conséquences à long terme.
5. Quels changements réglementaires pourraient toucher les assureurs?
Les risques d’origine climatique qui touchent l’industrie de l’assurance attirent l’attention des organismes de réglementation de l’assurance et des décideurs politiques. Les organismes de réglementation ont pour mission de protéger les consommateurs d’assurance en évaluant de manière indépendante et objective les pratiques d’assurance.
Une des menaces pour l’industrie est le risque de réglementation des prix et des produits. L’industrie a donc intérêt à démontrer sa capacité à verser les indemnités demandées à la suite d’événements extrêmes, d'une part, et à faire preuve, pour les consommateurs, de plus de transparence sur les conditions d’assurance et les pratiques de souscription, d'autre part.
LE SAVIEZ-VOUS?
Aucun problème de solvabilité n’a été soulevé en 1998, même si l’industrie a été confrontée aux coûts importants et inattendus de la crise du verglas. La plupart des frais engagés par l’industrie ont été récupérés par l’intermédiaire de la réassurance. Par ailleurs, la tempête de verglas est survenue à un moment du cycle de l’assurance où la plupart des compagnies étaient en bonne santé financière.
Comme la demande de garanties liées au climat augmente chez les consommateurs, l’industrie a avantage à collaborer avec les autorités qui réglementent les pratiques du secteur pour renforcer la confiance des consommateurs et leur compréhension des protections offertes. Cette collaboration est importante, car les conditions d’assurance continuent d’évoluer, et l’industrie devra communiquer efficacement toute nouvelle information aux titulaires de police.
6. Comment les assureurs se sont-ils adaptés à des phénomènes météorologiques plus extrêmes?
Dans les années 1980, l’industrie a versé moins de 0,1 milliard de dollars par année, en moyenne, en indemnités associées à des événements météorologiques extrêmes. La tempête de verglas de 1998 a tout changé. Elle a donné lieu à 700 000 demandes d’indemnités au Canada et à 140 000 demandes aux États-Unis sur une période de quatre ou cinq semaines. La somme de 2 milliards de dollars versée en indemnités était du jamais-vu.
Plusieurs catastrophes importantes se sont produites dans les dernières années. Cela comprend les événements les plus destructeurs qu’ait connus le Canada, soit la tempête de grêle de 2010, les inondations urbaines de 2013, les feux de forêt de 2016, les tornades de 2018, les épisodes de vents violents de 2018 et les inondations en milieux résidentiels causées par les eaux de surface en 2019. Les sinistres récents ont été 20 fois plus importants que ceux survenus au début des années 1980.
L’industrie de l’assurance de dommages canadienne a adapté ses pratiques de souscription en réaction aux taux d’intérêt peu élevés et au nombre de sinistres associés aux conditions météorologiques extrêmes qui demeure élevé, et réalise chaque année un modeste bénéfice technique. L’industrie s’est également adaptée à la hausse continue du nombre de sinistres en renforçant sa capacité d’intervention.
Elle a aussi intégré de nouveaux risques liés aux changements climatiques pendant cette période : plusieurs assureurs ont commencé à offrir une assurance habitation contre les inondations terrestres en 2015. En 2019, la moitié des propriétaires occupants présentant un risque faible ou modéré en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique possédait une garantie contre le risque d’inondation, et on s’attend à ce que cette protection devienne de plus en plus populaire dans le reste du pays.
L’assurance consiste à gérer le risque. Les risques physiques et de transition associés au climat deviennent les principaux risques auxquels la société est confrontée. L’industrie a commencé à se positionner comme leader, mais davantage d’efforts sont nécessaires.
LES RECOMMANDATIONS
Le rapport propose trois recommandations qui aideront l’industrie de l’assurance canadienne à faire face aux risques climatiques au cours des dix prochaines années :
Saisir les occasions et gérer les risques qui se présenteront
L’industrie de l’assurance doit faire face aux risques de souscription et aux risques opérationnels découlant de l’incidence des changements climatiques sur la fréquence et l’intensité des événements extrêmes; pour y arriver, elle devra compter sur la collaboration des membres de l’industrie et sur les mesures adoptées individuellement par chaque compagnie d’assurance. L’industrie doit aussi continuer à soutenir l’élaboration de pratiques exemplaires de réduction des risques pour les titulaires de police ainsi que la collecte de données sur les sinistres et la création de modèles permettant aux dirigeants de l’industrie de mieux comprendre les inondations, les feux de forêt et les risques climatiques.
Communiquer de manière proactive les méthodes de gestion des risques adoptées par l’industrie
Les consommateurs, les investisseurs et les organismes de réglementation souhaitent que les entreprises fournissent davantage d’information sur leurs méthodes de gestion des risques climatiques. Les assureurs et les courtiers devraient mesurer et communiquer leurs émissions de gaz à effet de serre et leurs cibles de réduction. De plus, les assureurs devraient démontrer leur capacité à verser les indemnités demandées à la suite d’événements extrêmes au moyen d'exercices de simulation de crise et par la réévaluation en continu de leurs garanties de réassurance et de la concentration du risque.
Partager les connaissances de l’industrie afin de motiver les autres à agir
L’industrie de l’assurance travaille à la création de solutions efficaces de réduction des sinistres fondées sur la recherche scientifique et les connaissances spécialisées. Les courtiers et les compagnies d’assurance devraient partager ces solutions de manière proactive avec les propriétaires de biens, les gouvernements et d’autres décideurs. Les efforts de sensibilisation sont plus efficaces lorsqu’ils s’accompagnent d’incitatifs financiers; les assureurs qui ajustent leurs prix en fonction du risque récompenseront les assurés qui adoptent des mesures de réduction des risques de sinistres.
Le rapport met l’accent sur les dix prochaines années à venir, tout en émettant une mise en garde quant à l’incertitude des perspectives sur 50 à 100 ans, qui dépendront des décisions prises par les principaux émetteurs et les dirigeants politiques au cours des mois et années à venir.