Par Naomi Grosman    |    Temps de lecture : 16 min

Dans le premier article du numéro d’été du bulletin Tour d’horizon trimestriel, nous examinons les différents points de vue des dirigeantes et dirigeants de l’industrie concernant l’intelligence artificielle (IA) et l’apprentissage automatique, ainsi que les craintes et les inquiétudes qui pourraient expliquer pourquoi certaines entreprises n’ont pas encore pleinement adopté ces nouvelles technologies. Le second article du bulletin porte sur les moyens que prennent les entreprises de l’industrie pour assurer la transmission des connaissances. Au moment même où le déploiement des technologies liées à l’IA est censé s’accélérer, une expertise et des expériences accumulées au fil de décennies sont sur le point de quitter l’industrie. En effet, on prévoit que jusqu’à 25 % de la main-d’œuvre prendra sa retraite d’ici à 2027. Arriverons-nous à bouger suffisamment rapidement pour répondre adéquatement à ces deux tendances concomitantes?

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L’adoption de l’IA : prendre son temps pour aller plus vite

« L’intelligence artificielle étant un sujet délicat, vous risquez de perdre l’adhésion des gens si vous mettez seulement de l’avant la nécessité d’accroître l’efficacité de l’entreprise, car ils vont immédiatement croire que le but consiste à remplacer les employés. Or en assurance, les gens sont irremplaçables, et l’IA n’est pas suffisamment raffinée pour accomplir la plus grande partie du travail réalisé par les professionnels de l’assurance. »―Bryant Vernon, chef de l’indemnisation chez Aviva

Des systèmes d’intelligence artificielle capables de détecter les nuances de la voix; des programmes qui enseignent aux ordinateurs à lire et à assimiler les données non structurées.

Ce ne sont là que quelques exemples des technologies qui sont utilisées par les assureurs canadiens dans le but d’améliorer les processus d’affaires et de mieux servir le public consommateur.

En voie de devenir omniprésente, l’intelligence artificielle est utilisée dans tout l’écosystème de l’assurance, ce qui s’avère avantageux tant pour la clientèle que pour l’industrie. Les entreprises y ont recours dans les domaines de la tarification, des services et de l’analyse des risques.

Mais l’adhésion de l’industrie à l’égard des technologies avancées s’effectue encore à un rythme inégal.

Fondamentalement, la psychologie humaine étant ce qu’elle est, et vu la complexité de la réglementation en assurance et de l’exploitation des affaires, les assureurs se montrent souvent peu disposés à adopter l’IA, d’autant plus qu’il s’agit d’un processus qui est long, complexe et dispendieux.

« L’adoption de l’IA nécessite un investissement financier et en termes de temps et de main-d’œuvre, ainsi qu’un changement de la culture d’entreprise, ce qui peut présenter d’importants défis », dit Bryant Vernon, chef de l’indemnisation chez Aviva Canada. « L’installation de nouvelles technologies, quelles qu’elles soient, est un processus qui ne s’effectue pas en un an, mais qui s’échelonne sur plusieurs années; elle exige beaucoup de temps et d’effort. »

M. Vernon ajoute que si le personnel et la clientèle ne font pas partie intégrante du processus d’adoption des nouvelles technologies, celui-ci risque d’échouer.

« Si vous n’obtenez pas l’adhésion de vos gens lorsque vous adoptez une nouvelle solution, ou que vous ne concevez pas cette solution en fonction de votre équipe, ça ne fonctionnera pas », dit M. Vernon. « L’adoption de ces outils doit entrainer une valeur ajoutée et si ce n’est pas le cas et que les gens refusent de suivre, ce sera un échec. »

Étant donné qu’il faut donner une importante formation au personnel, poursuit-il, et que l’apprentissage des nouveaux systèmes est susceptible d’être exigeant, le processus exige un changement de mentalité dans l’entreprise, surtout que le déroulement quotidien du travail s’en trouvera modifié.

« L’adoption de l’IA est un processus à long terme », dit M. Vernon. « D’une certaine façon, il faut procéder lentement pour arriver à effectuer une transformation rapide. »

Ron Glozman, fondateur de la société de logiciels d’intelligence artificielle Chisel AI, affirme que les dirigeantes et dirigeants de l’industrie de l’assurance sont convaincus du bien-fondé de l’adoption de l’intelligence artificielle. Ils considèrent que le déploiement de cette technologie constitue un atout pour leur entreprise dans son ensemble, c’est-à-dire tant pour le personnel que pour les titulaires de contrat, en plus d’être bon pour les affaires.

M. Glozman précise que des forces plus importantes sont à l’œuvre, qui expliquent le caractère inégal de l’adoption de l’IA au sein de l’industrie de l’assurance.

« Les gens sont enthousiastes, mais je dirais que peu d’entreprises ont déployé des technologies avancées telles que l’intelligence artificielle; la plupart d’entre elles n’ont pas encore adopté cette technologie dans le cadre de leurs processus d’affaires », dit M. Glozman. « Nous sommes à un stade où les différentes entreprises commencent à se renseigner et à comprendre la nécessité de l’IA, mais ne l’ont pas encore adoptée. »

Il indique qu’environ 25 % des entreprises, ou même moins, ont déployé et adapté l’IA, ce qui signifie qu’une importante majorité de compagnies tire de l’arrière.

Selon lui, les obstacles qui nuisent à l’adoption de l’IA sont liés à la taille des entreprises et à leur structure, ainsi qu’aux coûts de mise en œuvre. Cela est particulièrement vrai pour les entreprises de petite envergure.

« Tant que les coûts ne baisseront pas, un grand nombre de ces petites entreprises n’auront pas les ressources et la capacité nécessaires au financement de projets visant l’adoption de l’IA », affirme M. Glozman. « Cela élimine d’emblée une bonne partie de l’industrie. »

Il ajoute que lorsque l’offre de solutions technologiques clés en main sera plus abondante, ce qui arrivera vraisemblablement au cours des deux prochaines années, les choses vont commencer à changer et les plus petites entreprises seront en mesure d’adopter des solutions fondées sur l’intelligence artificielle.

M. Glozman ajoute qu’il existe une autre raison qui explique les retards dans l’adoption de l’IA : les différentes structures organisationnelles.

Les logiciels fournis par Chisel AI peuvent lire les données non structurées ainsi que les renseignements relatifs aux contrats se trouvant dans différentes bases de données et feuilles de calcul (documents Word, PDF et Excel, par exemple), en plus de combiner et de résumer l’information. Les services offerts consistent entre autres à aider les entreprises à trier les propositions d’assurance ainsi qu’à comparer les contrats afin de réduire les erreurs et omissions.

M. Glozman dit que pour les entreprises de plus grande envergure qui possèdent un service de souscription centralisé, le calcul du rendement du capital investi dans l’adoption des technologies offertes par Chisel AI ne présente aucune difficulté.

Les plus petites entreprises qui ont déjà de la difficulté à assumer les coûts liés à l’adoption de l’IA ont plus de difficulté à en chiffrer la valeur.

« Nombre d’entreprises dont la croissance est attribuable à des acquisitions exercent leurs activités dans plusieurs lieux différents et souvent, à chaque endroit, un membre du personnel est chargé de la vérification des contrats, de la comptabilité et de la paie », précise M. Glozman. « Pour ces entreprises, le RCI n’est pas aussi facile à déterminer. »

Il ajoute que les solutions fondées sur l’intelligence artificielle sont nouvelles, et que la réglementation est en retard sur la réalité. Si on ajoute à cela les difficultés d’approvisionnement et la surveillance imposée par les autorités de réglementation, on comprend que l’adoption de l’IA ne se fasse pas rapidement.

Bryant Vernon d’Aviva Canada dit qu’il est difficile de déterminer avec exactitude pourquoi le marché canadien est plus lent à adopter l’intelligence artificielle, comparativement au marché américain.

À l’instar de M. Glozman, il est d’avis que la réglementation pourrait être un facteur d’explication de cette lenteur.

« Je ne crois pas que le marché canadien soit aussi concurrentiel, et le fardeau réglementaire rend toute comparaison difficile; on pourrait affirmer qu’au Canada, les pressions en faveur d’un investissement en IA sont moins fortes », dit M. Vernon. « Toutefois, on constate que de plus en plus d’entreprises investissent dans ces technologies. »

Jas Dhindsa, directeur de la technologie et des données à la compagnie d’assurance mutuelle Gore, est d’accord pour dire que la réglementation constitue à bien des égards un frein à l’adoption de nouveaux outils technologiques. Ironiquement, toutefois, c’est l’industrie de l’assurance canadienne qui constitue son propre obstacle en ce qui a trait à la transformation technologique.

Selon M. Dhindsa, si la collaboration interentreprises était une chose plus courante, l’industrie dans son ensemble serait plus avancée au chapitre de l’adoption de nouvelles technologies.

Avant de se joindre à la compagnie d’assurance mutuelle Gore, l’année dernière, M. Dhindsa a dirigé les pratiques de la banque TD en Amérique du Nord en matière de technologies numériques, pour tous les secteurs d’activité de la banque. Il raconte qu’au cours de son mandat à la TD, il communiquait régulièrement avec ses homologues de la RBC, de la BMO et d’autres sociétés bancaires.

À l’instar de ce que M. Dhindsa a vécu au cours de ses années à la TD, dans certains marchés, notamment en Scandinave et en Australie, les professionnels de l’assurance partagent entre eux des renseignements qui contribuent à accélérer l’adoption des nouvelles technologies dans l’ensemble de l’industrie.

« Ces intervenants n’hésitent pas à discuter des meilleures pratiques et à les partager », dit M. Dhindsa. « Si on ne constate pas la même chose au Canada, ce n’est la faute de personne en particulier. Les raisons historiques des réticences qui ont toujours fait obstacle au partage de l’information sont complexes et liées à la culture, et il en va de même des obstacles découlant de la réglementation. »

« La concurrence entre en ligne de compte et certains renseignements ne doivent assurément pas être divulgués, mais l’industrie de l’assurance s’empêche de saisir certaines occasions qui pourraient lui permettre de connaître un plus grand succès. »

M. Dhindsa ajoute que la collaboration qui a actuellement lieu par le biais des forums de l’industrie est limitée, parce que les participantes et participants ne sont pas suffisamment nombreux pour susciter des échanges plus constructifs qui pourraient mener à l’harmonisation de la technologie dans toute l’industrie et donc à une accélération de son adoption à grande échelle.

« Quel avantage y a-t-il à limiter les discussions, et pourquoi ne pas avoir des échanges plus inclusifs et de meilleure qualité », s’interroge M. Dhindsa. « Lorsque les participantes et participants sont peu nombreux, on laisse passer de bonnes occasions d’harmoniser la technologie dans toute l’industrie. »

Ces lacunes au chapitre des échanges et de la collaboration ne sont pas attribuables à un quelconque entêtement. Elles découlent probablement d’une émotion plus primaire.

« Un sentiment de crainte explique les lacunes en matière de partage d’information », dit M. Dhindsa. « La divulgation, par les entreprises, de renseignements portant sur leurs stratégies d’adoption de nouvelles technologies est vue comme une source de désavantage stratégique; il devient nécessaire de changer les mentalités à cet égard. »

M. Dhindsa dit que la transformation numérique de la compagnie d’assurance mutuelle Gore repose principalement sur la mise en place de systèmes infonuagiques, laquelle constitue la pierre angulaire d’un plan stratégique visant à ce que l’entreprise se hisse parmi les 10 principaux assureurs au Canada d’ici trois à cinq ans. Sans l’adoption de technologies infonuagiques, l’entreprise ne pourrait atteindre cet objectif.

« Avant la mise en œuvre de notre stratégie de transformation numérique, les lacunes en matière de technologies avancées chez Gore étaient considérées comme un important obstacle à l’atteinte de notre objectif », dit M. Dhindsa. « Le conseil d’administration et l’entreprise dans son ensemble ont donc décidé d’investir dans des solutions technologiques de pointe. »

Chez Aviva Canada, le service des sinistres utilise des technologies d’intelligence artificielle fournies par la société Cogito afin d’améliorer la qualité des échanges avec la clientèle, ce qui est censé améliorer l’expérience des titulaires de contrat et faciliter le travail du personnel.

M. Vernon explique qu’à l’origine, Cogito a élaboré ses outils technologiques dans le but de détecter les symptômes du trouble de stress post-traumatique chez les anciens combattants. Aviva utilise cette technologie afin de favoriser une meilleure communication avec la clientèle.

« Le système permet de déterminer les sources de frictions et de malentendus afin de rendre les échanges plus efficaces », dit M. Vernon, chef de l’indemnisation chez Aviva. « Mais ce qui est encore plus important, c’est de bien communiquer avec la clientèle, parce que nous tenons à acquérir sa confiance et à la guider à travers le processus. »

Originaire des États-Unis, il mentionne à titre anecdotique avoir observé que la clientèle canadienne met beaucoup l’accent sur les interactions humaines, ce qui pourrait changer à la suite de la pandémie de COVID-19.

« La clientèle canadienne accorde une grande importance aux interactions et aux liens interpersonnels; les gens tiennent à recevoir des conseils et à avoir une conversation », dit M. Vernon. « Mais la COVID-19 a changé les perceptions de nombreuses personnes et, globalement, les gens se sont habitués à utiliser la technologie pour faire leurs transactions; cette nouvelle donne exercera une pression sur les compagnies et les incitera à adopter de nouvelles technologies, car les gens en feront plus souvent la demande. »

M. Vernon ajoute que même si les perceptions de la clientèle changent, l’adoption de nouvelles technologies par une entreprise doit se faire en collaboration avec le personnel, afin de répondre aux besoins exprimés par ce dernier. Si la décision est parachutée d’en haut, le processus risque de se solder par un échec.

« Nous tenons compte des sources d’irritation mentionnées par les membres de notre équipe et des aspects avec lesquels ils nous disent avoir des difficultés, et nous adoptons des outils technologiques en fonction de ces doléances », dit M. Vernon. « L’intelligence artificielle étant un sujet délicat, vous risquez de perdre l’adhésion des gens si vous mettez seulement de l’avant la nécessité d’accroître l’efficacité de l’entreprise, car ils vont immédiatement croire que le but consiste à remplacer les employés. Or en assurance, les gens sont irremplaçables, et l’IA n’est pas suffisamment raffinée pour accomplir la plus grande partie du travail réalisé par les professionnels de l’assurance. »

Ron Glozman de Chisel AI dit que les dirigeantes et dirigeants d’entreprise sont déjà convaincus des avantages de l’intelligence artificielle et des bienfaits liés à l’adoption des technologies de pointe.

Mais le personnel demeure méfiant.

« Les gens sont réticents, car ils éprouvent des craintes et sont sceptiques. Les entreprises veulent mettre en place ces technologies, mais elles doivent gagner l’adhésion de leur personnel », dit M. Glozman. « Je comprends ce que mes collègues veulent dire lorsqu’ils affirment que l’aspect émotif de cette transition est difficile à négocier. »

« Lorsque les gens parlent de l’IA, ils la voient comme un moyen de remplacer les humains, mais je la considère plutôt comme un moyen de les épauler et de les aider. Grâce à elle, les employés pourront se concentrer sur les aspects de leur travail qui sont les plus utiles et qui les motivent le plus, et travailler de façon plus harmonieuse au lieu de perdre leur temps à accomplir des tâches manuelles. »

Tendances et stratégies en matière de transmission des connaissances

« Les compétences grâce auxquelles le personnel assurait sa survie dans le passé, et même au cours des cinq dernières années, ont changé du tout au tout… on peut le constater chez les personnes qui occupent des postes de haute direction, qui mettent dorénavant l’accent sur l’innovation, la pensée critique et l’intelligence émotionnelle, alors qu’auparavant, elles insistaient plutôt sur l’expertise liée à certaines fonctions ou à certains produits. »― Erin Gattoni, vice-présidente des ressources humaines chez CNA Insurance

L’adoption de l’intelligence artificielle dans l’industrie de l’assurance entraîne des changements au chapitre des compétences que devront posséder les professionnels de cette industrie.

L’industrie de l’assurance est en pleine transformation. Une transition vers un mode de travail partiellement automatisé s’effectue au même moment que s’amorcent les nombreux départs à la retraite prévus pour les années qui viennent.

Selon une étude réalisée par Statistique Canada en 2016, 10,6 % de la main-d’œuvre canadienne était hautement susceptible (dans une proportion de 70 % ou plus) de voir ses fonctions professionnelles transformées en raison de l’automatisation des tâches, et 29,1 % était moyennement susceptible (dans une proportion de 50 à 70 %) de connaître le même type de transformations.

De plus, l’étude a révélé que 4,8 % des emplois offerts dans l’industrie de l’assurance étaient hautement susceptibles d’être automatisés.

Dans l’étude démographique réalisée en 2018 par l’Institut d’assurance, on prévoyait que plus de 25 % de la main-d’œuvre prendrait sa retraite avant 2027.

Le déploiement des technologies de pointe est censé s’accélérer, et des décennies d’expérience et d’expertise sont sur le point de quitter l’industrie.

Erin Gattoni, vice-présidente des ressources humaines chez CNA Insurance, dit que s’il est difficile de prévoir les tendances en matière de départs à la retraite, il est évident qu’à mesure que les employés plus expérimentés partiront, aucune entreprise ne sera immunisée contre les risques associés à la perte de connaissances accumulées au fil de décennies au sein de l’industrie.

Elle affirme que pour s’ajuster aux changements découlant des départs à la retraite et des avancées technologiques, il est nécessaire d’appliquer, tout au long des années de service des employés, une stratégie proactive visant à promouvoir et à faciliter la transmission des connaissances, à tous les niveaux de l’entreprise.

« Fondamentalement, il faut adopter une stratégie de recrutement proactive ainsi qu’un plan de formation et de perfectionnement, et instituer une culture d’entreprise inclusive afin de favoriser l’ouverture et la collaboration; il faut aussi mettre l’accent sur des stratégies exhaustives en matière de préparation de la relève et de progression des employés », ajoute Mme Gattoni. « Ces mesures, auxquelles doivent s’ajouter des programmes internes de mentorat, permettront une transmission efficace des connaissances. »

Elle précise que les départs à la retraite et la transmission des connaissances, ainsi que les avancées technologiques, sont des phénomènes épisodiques qui ne surviennent pas au cours d’une période donnée. Pour répondre adéquatement à ces tendances, il faut mettre en place des mesures qui s’appliquent de façon soutenue.

« Chez CNA, le fait d’avoir adopté des buts et des valeurs fondés sur la formation continue, la reddition de comptes, la collaboration, une attention aux forces externes, l’innovation et l’inclusion contribue à créer un environnement propice à l’épanouissement de la main-d’œuvre actuelle et future, dans un contexte où la vie professionnelle et personnelle des gens sera continuellement marquée par diverses perturbations », dit Mme Gattoni. « La prise en compte soutenue des changements et des perturbations aidera les entreprises à continuer d’exercer leurs activités à l’enseigne de l’innovation. Ce sont les départs à la retraite attirent notre attention en ce moment, mais il faut bien comprendre que le changement demeurera une constante; il faudra donc faire preuve de souplesse afin de créer un environnement où les employés pourront donner le meilleur d’eux-mêmes. »

Mme Gattoni poursuit en disant que CNA a effectué des projections en matière de départs à la retraite et pris la mesure des connaissances qui pourraient être perdues au fil du temps. L’entreprise a réfléchi aux stratégies qu’elle pourrait mettre en place pour faire en sorte que les employés évoluent dans un environnement qui assure de façon soutenue une transmission des connaissances entre les employés plus expérimentés et les employés nouvellement embauchés, tout en tenant compte des tendances émergentes.

« Nos stratégies visent notamment à repérer des employés expérimentés dans le domaine de l’assurance et à susciter leur intérêt, mais ces employés sont très difficiles à trouver », dit Mme Gattoni. « Et en même temps, il faut mettre en place des programmes ayant pour but de former la prochaine génération de professionnels. »

Elle ajoute que l’entreprise compte également créer une filière de recrutement proactive qui permettrait de susciter l’intérêt des candidates et candidats en mettant de l’avant la marque de l’entreprise et en décrivant son environnement de travail.

Ron Glozman de Chisel AI dit qu’il est essentiel, pour les entreprises, de favoriser la transmission des connaissances non seulement entre anciens et nouveaux employés, mais aussi entre les employés plus anciens et les systèmes d’intelligence artificielle, qui sont dotés d’une capacité d’apprentissage automatique leur permettant de prendre des décisions.

« L’un des principaux attraits de l’intelligence artificielle est sa capacité d’apprentissage automatique, grâce à laquelle un logiciel peut apprendre et améliorer ses performances à partir des interventions humaines », dit M. Glozman.

Il indique que le souscripteur le plus talentueux peut vérifier environ 32 000 contrats d’assurance au cours de sa carrière.

« C’est beaucoup, et les entreprises veulent conserver ces connaissances », dit M. Glozman.

Il ajoute que les programmes de Chisel AI ont analysé quelque 100 000 contrats d’assurance depuis que l’entreprise a ouvert ses portes, il y a moins d’une décennie.

« À mesure que nos systèmes d’intelligence artificielle sont utilisés et que chaque utilisatrice ou utilisateur y intègre ses connaissances, la machine apprend et acquiert plus de profondeur et une plus grande portée », dit M. Glozman. « La machine apprend en intégrant les connaissances des employés qui partent à la retraite, ce qui permet une transmission de ces connaissances. Le logiciel pourra ainsi traiter plus de contrats que n’importe quel employé et enregistrer les connaissances des utilisatrices et utilisateurs avant leur départ de l’industrie. »

Chez CNA, la transmission des connaissances s’effectue dans les deux sens : l’expertise est transmise des employés expérimentés aux nouveaux employés et vice-versa, et entre les différents services de l’entreprise.

Mme Gattoni dit qu’il importe de faciliter la transmission des connaissances en adoptant un modèle de parcours de carrière qui s’éloigne du modèle traditionnel de l’échelle que l’on grimpe et valorise les cheminements latéraux et transversaux.

« L’assurance est une industrie vraiment excitante parce qu’elle offre une multitude de cheminements de carrière possibles, que ce soit dans le domaine où vous évoluez actuellement ou dans un domaine complètement différent », dit-elle. « Dans l’industrie de l’assurance, il n’est pas rare que des gens passent de la souscription aux ressources humaines, tandis que d’autres vont du règlement des sinistres à la souscription, de l’exploitation à la souscription ou des finances à la souscription; ce n’est plus le modèle de la progression verticale qui prédomine, et la transmission des connaissances s’effectue même entre les différents services, ce qui est très utile. »

Elle affirme que l’un des principaux préceptes de CNA est que la formation continue et les programmes de formation à l’interne, notamment les programmes de mentorat, ont une grande importance, car ils favorisent un type d’apprentissage qui donne lieu à une arborescence de savoirs qui se déploie au-delà des modèles en silo traditionnels.

« Ce qui nous aide, c’est que les programmes de mentorat sont offerts à tous les niveaux, sur la base d’un partenariat entre un mentor et un mentoré; les programmes permettent d’évaluer les compétences tant des dirigeants que des mentorés, dans le but d’obtenir des résultats avantageux pour les deux parties, ce qui, au bout du compte, permet de créer un solide réseau de talents », dit Mme Gattoni. « Nous nous intéressons aussi au cycle de carrière des employés et aux façons de nous représenter chacune des étapes de leur cheminement et de comprendre leurs aspirations professionnelles; nous visons ainsi à leur apporter le meilleur soutien possible et à leur fournir les ressources grâce auxquelles ils pourront se doter d’un environnement où ils seront à leur meilleur. »

Mais l’adoption de l’intelligence artificielle dans l’industrie de l’assurance et les projections en matière de départs à la retraite n’entraînent pas seulement la nécessité d’une transmission efficace des connaissances. En effet, ces facteurs donnent également lieu à une modification des compétences que devra posséder le personnel.

Jas Dhindsa, de la mutuelle Gore, dit que les compagnies d’assurance qui entreprennent la numérisation de leurs activités recherchent de plus en plus de nouvelles recrues à l’extérieur de l’industrie.

« Il ne faut pas nier l’importance de l’expertise propre à l’industrie de l’assurance et des connaissances accumulées au sein des entreprises, mais, en même temps, pour effectuer une transformation efficace, il est également nécessaire d’obtenir un point de vue complémentaire et un peu différent pour faire bouger les choses », dit-il. « Ce type de changement sera très avantageux pour l’industrie, mais il doit être réalisé de façon réfléchie et déterminée. Il ne suffit pas de copier-coller un modèle et de s’attendre à ce que la transition se fasse automatiquement. »

Chez CNA, l’identification des compétences telles que la capacité d’apprendre rapidement et la résilience fait dorénavant partie du processus de recrutement.

« Le but, c’est de trouver des personnes qui non seulement ont la capacité d’apprendre rapidement tout ce qui a trait aux changements technologiques internes, mais qui sont également à l’aise dans un contexte marqué par les changements technologiques et les changements au sein des marchés, pour être en mesure de toujours garder une longueur d’avance », dit Mme Gattoni. « Ces personnes sont difficiles à trouver, et ces qualités sont très difficiles à discerner dans le cadre du processus d’embauche. »

Elle ajoute que l’importance que l’on accorde désormais à ces compétences n’est pas seulement attribuable à l’adoption de nouvelles technologies, mais s’explique par un changement de priorités découlant de la pandémie.

« La souplesse a toujours été un critère fondamental dans notre processus d’embauche, ainsi que la capacité des candidates et candidats à se mettre rapidement au diapason de l’entreprise. Mais dorénavant, il s’agit davantage d’évaluer dans quelle mesure les candidates et candidats ont la capacité de s’adapter au changement », dit Mme Gattoni.

Elle relate que l’entreprise a connu plusieurs transformations au cours de la pandémie, comme lorsqu’il a été nécessaire d’apprendre à fonctionner dans un environnement entièrement virtuel.

« Lorsque nous recherchons le type de personnes qui sont les plus susceptibles de réussir chez CNA, nous songeons à cette souplesse et à cette capacité d’être à l’aise dans le contexte des changements qui traversent le marché, parce que ce n’est pas seulement le marché qui se transforme, mais c’est également le cas de nos clients », dit Mme Gattoni. « Cette capacité à s’adapter au changement afin de garder une longueur d’avance est tributaire d’une de nos valeurs centrales : la formation continue, grâce à laquelle nous demeurons en tête de peloton. »

Mme Gattoni ajoute que dans un monde caractérisé par l’incertitude, la création d’un environnement de travail convivial où les employés peuvent s’épanouir et où ils se sentent à l’aise favorise la collaboration et la transmission des connaissances.

Elle explique aussi que dans ce climat d’incertitude liée aux changements technologiques, aux mutations des marchés et à la pandémie, ce sont les personnes qui font preuve d’une résilience à long terme qui tireront le mieux leur épingle du jeu.

« Les compétences grâce auxquelles le personnel assurait sa survie dans le passé, et même au cours des cinq dernières années, ont changé du tout au tout… on peut le constater chez les personnes qui occupent des postes de haute direction, qui mettent dorénavant l’accent sur l’innovation, la pensée critique et l’intelligence émotionnelle, alors qu’auparavant, elles insistaient plutôt sur l’expertise liée à certaines fonctions ou à certains produits », explique Mme Gattoni.

« Nous allons constater de plus en plus cet engagement à cultiver la résilience de la main-d’œuvre, et c’est ce que les employés recherchent… des employeurs qui mettent l’accent sur le perfectionnement et l’apprentissage dans le but d’enrichir les connaissances des employés et de les requalifier. »

Elle ajoute que pour connaître une croissance durable dans un marché en mutation rapide, les entreprises doivent aider leur personnel à renouveler et à enrichir ses compétences et embaucher des personnes qui ont la passion et la volonté d’apprendre.

Jas Dhindsa, directeur de la technologie et des données à la mutuelle Gore, explique que lorsque la compagnie a entrepris un processus de numérisation de ses activités, elle a compris que le renforcement des compétences de son personnel, notamment par la requalification de certains de ses employés, constituerait un aspect essentiel du processus.

« Lorsque nous avons examiné nos systèmes... nous nous sommes également rendu compte que nous devions renforcer les compétences de nos employés et créer une structure, voire une culture organisationnelle favorisant une efficience accrue, parce qu’au bout du compte, notre ingrédient secret demeure notre main-d’œuvre », dit-il. « Nous avons embauché des personnes très talentueuses provenant de l’extérieur de l’industrie et procédé à la requalification de nos employés les plus performants qui possédaient les connaissances pertinentes. »

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