Par Naomi Grosman | Temps de lecture : 16 min
Le présent numéro traite des répercussions du télétravail sur l’industrie. Notre premier article examine dans quelle mesure le recrutement des courtières et courtiers s’est maintenu au cours de la pandémie ainsi que la gestion d’équipes à distance et l’intégration de nouvelles et nouveaux employés, dans un contexte où ceux-ci ne peuvent pleinement bénéficier des possibilités de réseautage en personne et du soutien de leurs pairs. Notre deuxième article porte également sur le personnel de courtage et s’intitule Lettres à un jeune courtier d’assurance (en hommage à Lettres à un jeune poète); on y examine ce qu’une courtière ou un courtier en début de carrière peut apprendre d’une ou d’un professionnel aguerri ainsi que les leçons que l’on peut tirer de l’exercice de la profession en période de marché étroit. Enfin, dans notre dernier article, nous abordons la santé mentale en milieu de travail avec la Dre Helen Ofosu, qui œuvre à titre de conseillère en RH et de psychologue spécialisée chez I/O Advisory Services, à Ottawa. La Dre Ofosu offre des conseils permettant de déceler les troubles de santé mentale chez les membres du personnel et d’apporter de l’aide aux employés concernés.

Le recrutement du personnel de courtage va toujours bon train
« Plus de la moitié de la main-d’œuvre de l’entreprise a été embauchée pendant la période de confinement… Nous croulons sous les candidatures. »―Danish Yusuf, fondateur et chef de la direction de l’entreprise Zensurance
Malgré la multiplication des pertes d’emploi partout au Canada en raison de la pandémie et la période de marché étroit que nous traversons, le courtage d’assurance ne cesse de prendre de l’expansion, ce qui entraîne l’arrivée de nouveaux venus au sein de l’industrie et l’ouverture de nouvelles portes pour les courtières et courtiers expérimentés.
Si la transition vers de nouveaux modes de travail s’est faite sans trop de heurts au printemps dernier, l’organisation des milieux de travail continue néanmoins de se transformer en raison de la situation de confinement qui persiste dans la plupart des régions du pays.
« L’aspect social du travail en a pris un coup », dit Danish Yusuf, fondateur et chef de la direction de Zensurance. « Il faut procéder différemment pour apprendre à connaître nos collègues de travail, et les nouveaux employés n’ont jamais encore rencontré leurs pairs en personne. »
M. Yusuf est le fondateur de Zensurance, une entreprise exclusivement vouée à la vente d’assurance aux petites entreprises. Comme il avait œuvré auparavant à titre d’ingénieur en logiciels, son entreprise a une philosophie centrée sur la technologie et offre des solutions permettant à la clientèle a de se procurer de l’assurance selon le mode qui lui convient et au moment choisi.
« Nous nous considérons comme une entreprise technologique qui se trouve à exercer ses activités dans le domaine de l’assurance », précise M. Yusuf.
En dépit des difficultés liées à la pandémie et du facteur aggravant que constitue l’étroitesse du marché, ce cabinet de courtage offrant de l’assurance des entreprises en ligne n’a éprouvé aucun problème au chapitre du recrutement. M. Yusuf indique que son entreprise a embauché 68 personnes l’année dernière.
« Plus de la moitié de la main-d’œuvre de l’entreprise a été embauchée pendant la période de confinement… Nous croulons sous les candidatures. »
Il ajoute que même pendant le premier confinement, lorsque les Courtiers d’assurance inscrits de l’Ontario ont cessé pendant quelque temps de délivrer des permis de courtage, Zensurance a affecté les personnes nouvellement embauchées à des tâches administratives.
« La demande de personnel à monté en flèche », dit M. Yusuf. « Le marché est étroit, les primes augmentent et l’assurance est difficile à obtenir, alors les gens “magasinent” afin de trouver des contrats, et la pandémie est venue accentuer ce phénomène. »
Adam Mitchell, président du cabinet de courtage Mitchell and Whale Insurance Brokers Ltd., situé à Whitby, dit que la COVID a probablement eu un certain impact sur le recrutement, mais que son entreprise était en période de croissance avant la pandémie.
M. Mitchell a acquis le cabinet de courtage de son père au décès de celui-ci, en 2010. Il décrit l’entreprise comme étant « à la fois ancienne et moderne », car il s’agit d’une entreprise familiale de troisième génération qui a recours aux logiciels et au marketing en ligne afin de prendre de l’expansion. L’entreprise, qui comptait deux employés en 2010, en compte aujourd’hui 68. De plus, elle émettait alors deux millions de dollars en primes et en émet aujourd’hui 40 millions.
« Nous n’éprouvons pas autant de difficulté à embaucher que d’autres entreprises », dit M. Mitchell. « Notre structure est propice à la croissance, et nous ne cesserons jamais de recruter. »
Il ajoute toutefois que même si Mitchell and Whale s’est bien adapté au télétravail, il demeure troublant de ne pas pouvoir pleinement mesurer les effets de l’absence d’interactions sociales sur les équipes de travail.
« Grâce à un sondage effectué récemment, nous savons que la plupart des membres de notre personnel aiment faire partie de notre équipe, et à en croire les commentaires que nous avons entendus, nous savons aussi qu’ils nous apprécient et nous respectent », dit M. Mitchell. « Mais je m’inquiète de la santé mentale de l’équipe. Arrivent-ils à se faire des amis, certains d’entre eux ont-ils des problèmes de dépendance cachés, et comment se passe leur vie à la maison? À tous ces égards, il est difficile d’avoir l’heure juste. »
Il existe un indicateur que les choses vont bien à la maison : les bureaux de l’entreprise sont ouverts au personnel, mais seulement trois des membres de l’équipe ont choisi d’y retourner.
« La plupart des membres de notre personnel ne tiennent pas à revenir au bureau », indique M. Mitchell. « Nous ne demandons pas à nos gens de venir travailler au bureau, sauf dans le cas des employés qui présentent des lacunes au chapitre du rendement; si certains employés ont l’impression de mieux travailler quand ils viennent au bureau, ils ont la possibilité de le faire. »
M. Mitchell ajoute que toute la logistique entourant le « travail flexible », qui consiste à répartir les journées de travail entre la maison et le bureau, est difficile à gérer, et qu’on ignore encore comment on procédera à ce chapitre au lendemain de la pandémie. Chose certaine, la plupart des membres du personnel veulent conserver les avantages que procure le travail à la maison.
Le chef de la direction de Zensurance affirme que le portrait est à peu près le même dans son entreprise.
« Il est beaucoup plus facile de gérer du personnel lorsque le travail s’effectue entièrement à domicile que lorsqu’une partie seulement de la main-d’œuvre opte pour le télétravail, et nous allons devoir remédier à cette difficulté, mais je ne crois pas que nous reviendrons à un mode d’organisation du travail où l’ensemble du personnel accomplit ses tâches au bureau », dit M. Yusuf. « Selon nos sondages internes, les courtières et courtiers de l’entreprise veulent travailler au bureau de deux à quatre jours par semaine, tandis que les équipes du marketing, des finances et des logiciels souhaiteraient se rendre au bureau une journée par semaine seulement. »
Si le recrutement lui-même n’a pas posé de difficulté, on ne connaît pas encore les effets à long terme que le télétravail aura sur l’accueil et l’intégration des employés ainsi que sur l’aspect mentorat lié au processus de recrutement.
« Il est impossible de reproduire pleinement l’expérience du travail en personne », dit M. Yusuf. « En tant que chef de la direction, j’ai l’habitude de parler à tout le monde et d’écouter ce que les gens ont à dire, et de rencontrer ensuite d’autres personnes pour discuter des diverses questions abordées. »
M. Yusuf affirme que lorsqu’une entreprise a recours au télétravail, il est plus difficile pour le personnel d’avoir des interactions sociales.
Zensurance utilise la plateforme de communication d’entreprise Slack, qui permet de fixer, au hasard, des rencontres sociales virtuelles entre les employés, pour que les membres des différentes équipes apprennent à se connaître. De plus, chaque équipe dispose d’un budget afin d’organiser des déjeuners virtuels. Tous les vendredis, une rencontre à caractère social d’une heure est prévue et chaque trimestre, le personnel est convié à une grande assemblée.
« Ces rencontres à caractère social existaient déjà avant la pandémie, mais elles ont dorénavant lieu en mode virtuel », dit M. Yusuf. « Pour ce qui est des activités de l’entreprise, nous avons établi des mesures de contrôle de la qualité en ligne, mais nous constatons inévitablement une perte au chapitre du bon roulement de l’entreprise. Les solutions virtuelles ne remplacent pas les échanges en personne qui ont souvent lieu après le travail, mais nous faisons de notre mieux pour pallier ces lacunes. »
M. Mitchell dit que le mentorat va se poursuivre, mais qu’il prendra à l’avenir une forme différente.
« Nous trouverons des moyens de surmonter les difficultés découlant des restrictions imposées par la pandémie, et même si les conditions actuelles persistent, nous allons nous adapter », dit-il, ajoutant qu’il est clair que les gens voudront toujours s’adonner à une forme ou une autre d’interaction sociale.
« Lorsque nous sommes allés distribuer des cadeaux de Noël au domicile des employés, l’enthousiasme se lisait sur leur visage », dit M. Mitchell. « Les gens tiennent à entrer en relation avec leurs semblables. »
M. Yusuf dit que Zensurance reconnaît l’importance des rencontres en personne entre employés et que l’entreprise va probablement mettre en place des activités à caractère social lorsque ce sera permis.
« Notre entreprise comprend à quel point il est important que les membres du personnel puissent se rencontrer en personne », ajoute-t-il. « Le travail en solitaire requiert également des aptitudes particulières. »
Lettres à un jeune courtier d’assurance
« On m’avait dit que si j’arrivais à travailler un an à titre de courtier en période de marché étroit, ma formation serait complète; puis la pandémie est survenue au cours de ma deuxième année de travail. »― Jeremy Melanson, courtier, AA Munro
Depuis qu’il exerce le métier de courtier, Jeremy Melanson n’a jamais connu autre chose qu’un marché étroit.
Lorsqu’il a décidé de devenir courtier, il y a deux ans, après avoir mené une première carrière en construction, on lui a clairement expliqué en quoi l’étroitesse du marché allait influer sur son travail.
« En ce qui concerne la conjoncture, on m’avait averti dès le départ que nous traversions un marché étroit et que les temps allaient être durs », dit M. Melanson, qui est courtier d’assurance des particuliers aux bureaux de Digby du cabinet de courtage AA Munro, en Nouvelle-Écosse. « Lorsque j’ai commencé, j’ignorais totalement que les règles de la profession étaient moins strictes avant la pandémie. Selon mon expérience, lorsque l’on communique avec un souscripteur pour faire une demande et que sa réponse est “non”, il n’y a aucune autre avenue possible. Il ne m’est jamais venu à l’esprit que les choses puissent se dérouler différemment dans d’autres contextes. »
Puis la pandémie est survenue, amenant avec elle une foule de nouveaux défis.
« On m’avait dit que si j’arrivais à travailler un an à titre de courtier en période de marché étroit, ma formation serait complète; puis la pandémie est survenue au cours de ma deuxième année de travail. »
Il ajoute que le bureau de Digby, où travaillent deux personnes, est ouvert au public sur rendez-vous seulement, ce qui donne lieu à un nombre de rencontres en personne beaucoup moins élevé qu’avant la pandémie.
« Le nombre de rencontres en personne varie… mais auparavant, la porte était ouverte aux clients en tout temps », dit M. Melanson.
Il ajoute qu’étant donné que le cabinet de courtage s’adresse à une clientèle plus âgée, l’adaptation aux nouvelles façons de faire a présenté des difficultés particulières.
« Une bonne partie de notre clientèle n’avait jamais effectué d’opérations en ligne, comme des transactions bancaires ou une signature électronique », raconte M. Melanson. « Les courtières et courtiers n’ont pas été formés pour enseigner ces opérations, mais ce type d’activité fait désormais partie de notre travail de tous les jours. »
Pour ce qui est de la période de marché étroit, M. Melanson dit que la chose la plus épuisante à gérer actuellement n’est pas la réaction des gens aux augmentations de prix ou aux changements apportés aux garanties, mais c’est le caractère répétitif des tâches.
« Les gens ont simplement besoin d’éclaircissements et posent des questions, la première portant inévitablement sur les prix, mais les explications que nous donnons sont toujours les mêmes », déplore M. Melanson. « Les difficultés que nous éprouvons ne sont pas nécessairement attribuables à l’étroitesse du marché, mais découlent plutôt du fait que nous devons répéter les mêmes choses jour après jour. »
M. Melanson se considère chanceux d’avoir été recruté et formé avant la pandémie. Pendant un an, il a pu prendre part à des activités à caractère social où il a eu l’occasion de rencontrer d’autres membres du personnel d’AA Munro (l’entreprise possède des bureaux partout en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick) ainsi que des souscriptrices et souscripteurs de différentes compagnies d’assurance.
« Je commençais à peine à connaître les gens et à tisser des liens », dit-il. « Mais même si la période que nous traversons est ardue… nous pouvons compter sur le vaste soutien des membres du personnel et de la clientèle; tout le monde comprend que c’est ainsi que les choses doivent se dérouler pour le moment. »
Toutefois, il a le sentiment d’être privé de quelque chose d’important au chapitre des rapports sociaux.
« De nombreuses personnes ont fait leur entrée dans l’industrie en même temps que moi, et nous bénéficions de beaucoup de soutien », dit M. Melanson. « Avant l’arrivée de la COVID, les courtières et courtiers pouvaient suivre des cours de formation en présence de collègues nouvellement arrivés dans l’industrie, mais nous ne pouvons plus profiter de ces rencontres, car nous n’avons pratiquement plus d’activités sociales l’extérieur du travail. »
Tammie McLearn, qui est cheffe d’équipe, travaille depuis 20 ans à titre de courtière et a été témoin de nombreux changements dans l’industrie.
Lorsqu’elle a commencé à travailler, au début des années 2000, toutes les tâches étaient effectuées manuellement; au fil des ans, elle a traversé plusieurs cycles de marchés faibles et de marchés étroits.
« L’ordinateur qui se trouvait sur mon bureau n’était en fait qu’une machine à écrire géante », raconte Mme McLearn, qui est courtière d’assurance des particuliers au bureau de Greenwich d’AA Munro.
La Société des PAA a demandé à Mme McLearn de répondre aux questions les plus pressantes de M. Melanson au sujet du travail en période de marché étroit et en temps de pandémie.
Quelle serait la meilleure façon de composer avec le fait d’avoir à répondre aux mêmes questions de nombreuses fois par jour?
« Gardez à l’esprit que votre travail consiste à éduquer votre clientèle. Si vous pouvez donner des explications aux gens en faisant montre de délicatesse, de compassion et d’empathie, vos clientes et clients se sentiront en confiance car ils auront l’impression que leur courtier veille à leurs intérêts. Voilà le sens de notre travail : éduquer les gens et leur fournir la meilleure protection possible. »
Quand la période de marché étroit prendra-t-elle fin?
« Elle ne prendra pas fin du jour au lendemain, mais plutôt graduellement. Ne vous inquiétez pas et ne perdez pas courage, car les choses ne seront pas toujours ainsi. Vous sentirez un changement dans les domaines de l’assurance où les directives des assureurs sont peut-être actuellement très strictes, mais peu à peu, le marché deviendra plus faible et ces compagnies ouvriront de plus en plus grand leurs portes. »
Comment puis-je contrer les désavantages découlant de l’absence d’interactions sociales?
« N’oubliez pas que les choses vont finir par changer et revenir à la normale. En attendant, prenez part aux activités virtuelles offertes par votre entreprise ou par les associations de l’industrie. Les humains sont des êtres sociaux pour qui les interactions revêtent une grande importance. Continuez à établir de bonnes relations avec votre clientèle, vos collègues de travail et les compagnies avec qui vous collaborez et inscrivez-vous aux cours de formation offerts comme les programmes de PAA et de FPAA ou ceux menant à l’obtention du titre de CAAC. »
Quelle est la meilleure façon, pour les nouveaux courtiers, de composer avec les difficultés engendrées par la pandémie?
« N’hésitez pas à demander de l’aide. Informez les personnes concernées lorsque vous rencontrez des difficultés et dites-leur que vous avez besoin de plus de formation, ou demandez-leur de vous expliquer les choses que vous ne comprenez pas. Il arrive que des clientes et clients d’un certain âge vous demandent de leur apporter un soutien technique; ils suivront volontiers vos conseils, mais ces opérations peuvent prendre du temps. Il vous faudra parfois même aider certaines personnes à ouvrir un compte de courrier électronique. Si vous trouvez toutes ces tâches un peu trop lourdes, rien ne vous empêche de demander de l’aide. »
Avez-vous des conseils pour traverser les journées difficiles?
« Nous voyons notre clientèle dans ses meilleurs et ses pires moments. De plus, les courtiers d’assurance ont longtemps inspiré une certaine méfiance. Vous aurez des journées formidables au terme desquelles vous aurez vraiment l’impression d’avoir aidé quelqu’un. À d’autres moments, il vous faudra avoir une conversation difficile avec des personnes dont la résidence a été détruite par un incendie. Voici ce que je recommande à tous les courtiers : si vous recevez un courriel dans lequel une personne vous remercie de l’avoir aidée à traverser une situation difficile, conservez ce message dans un fichier à part et allez le relire lorsque vous passez un moment ardu. Vous verrez soudainement les choses sous un jour meilleur. »
Outiller le personnel face aux troubles de santé mentale
« Le risque d’épuisement professionnel est plus élevé, parce qu’une personne qui travaille à la maison est souvent plus portée à travailler constamment; de plus, certains employeurs croient que leurs employés devraient être disponibles en tout temps et leur envoient des courriels le soir et les week-ends. Bref, les gens finissent souvent par travailler plus qu’ils ne le devraient. » ― La Dre Helen Ofosu, conseillère en RH et psychologue spécialisée, I/O Advisory Services
Les façons insidieuses dont les troubles de santé mentale peuvent s’insinuer dans la vie d’une personne font en sorte que les employeurs ont souvent de la difficulté à détecter ces problèmes et à faire ce qu’il faut pour aider les membres de leur personnel.
Cela peut être encore plus difficile dans la période actuelle, où le télétravail est devenu la norme pour le personnel de nombreuses industries, dont celle de l’assurance.
Mais le fait de ne pas tenir compte de ces enjeux peut avoir de graves conséquences tant pour l’employé qui souffre que pour les bénéfices de l’employeur et pour l’économie dans son ensemble, dit la Dre Helen Ofosu, conseillère en RH et psychologue spécialisée chez I/O Advisory Services, à Ottawa.
De plus, en raison de la pandémie, les problèmes de santé mentale et de consommation de substances sont en hausse, et certains experts craignent une « avalanche de problèmes de santé mentale », ajoute-t-elle.
« On constate beaucoup plus de problèmes d’anxiété et de dépression au sein de la société en général en raison des contraintes imposées par la pandémie, et d’aucuns parlent même de différents types de deuils », poursuit la Dre Ofosu. « Les gens ont perdu la possibilité de célébrer des événements importants avec leur famille et leurs amis, et certaines personnes ont vu des membres de leur famille tomber malades ou perdre la vie sans pouvoir leur dire au revoir. Tous ces événements sont autant de deuils. »
Les employeurs risquent gros s’ils négligent les enjeux liés à la santé mentale
Selon le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH), les troubles mentaux sont la principale cause d’invalidité au Canada et représentent un fardeau énorme pour l’économie. On estime leur coût à environ 51 milliards de dollars par année en frais de soins de santé et en perte de productivité.
La Dre Ofosu dit que les coûts économiques sont plus faciles à prendre en compte que les autres risques auxquels les employeurs s’exposent lorsqu’ils ne prêtent pas attention à la santé mentale de leur personnel.
Les entreprises qui n’apportent pas d’aide aux personnes qui souffrent de troubles de santé mentale ou qui éprouvent d’autres difficultés psychologiques liées au travail risquent d’entacher leur réputation », dit-elle. « Le fait de ne pas tenir compte des enjeux qui sont portés à leur attention peut entraîner de graves problèmes. »
La Dre Ofosu ajoute que le mouvement Me Too constitue un parfait exemple de ce qui peut arriver à une entreprise qui choisit de passer sous silence les plaintes graves.
« Avant l’avènement du mouvement Me Too, on fermait les yeux sur les problèmes qui affligeaient les milieux de travail », dit la Dre Ofosu. « Aujourd’hui, on porte davantage attention à l’intimidation, au harcèlement et à la discrimination, et on accorde plus d’importance à la gestion du risque de réputation. »
« Outre le risque de réputation, ces situations entraînent un risque lié à la responsabilité civile », ajoute-t-elle, faisant état de l’action collective de 900 millions de dollars (non encore autorisée) qui pourrait être intentée contre le gouvernement fédéral, et dont les demandeurs allèguent que les personnes de race noire font depuis 50 ans l’objet de racisme systémique lors de l’embauche des fonctionnaires.
« Les employeurs qui ferment les yeux sur ces comportements contre-productifs (comme le harcèlement et la discrimination), c’est-à-dire qui savent que ces problèmes affligent leur milieu de travail et omettent délibérément de s’y attaquer, s’exposent à des poursuites en responsabilité civile », renchérit la Dre Ofosu.
Comment déceler les troubles de santé mentale chez les employés et s’y attaquer
Selon la Dre Ofosu, lorsqu’il s’agit de déceler les troubles de santé mentale chez les employés et d’apporter de l’aide à ces derniers, les employeurs font mieux que par le passé. Mais ils n’ont commencé que récemment à prendre ces problèmes au sérieux.
Elle ajoute que ce n’est que depuis cinq ou six ans que l’on prête davantage attention aux enjeux liés à la santé mentale au travail, dans le sillage de l’adoption de lois qui sont venues clarifier les obligations incombant aux employeurs afin de contrer le harcèlement.
Mais cette nouvelle ère de télétravail a généré des situations complexes dans la sphère professionnelle, qui viennent accroître les risques de troubles de santé mentale.
La Dre Ofosu dit que la vulnérabilité des employés aux troubles de santé mentale et aux dépendances est attribuable à des facteurs tels que la difficulté de tracer la limite entre la vie privée et la vie professionnelle, les exigences de travail irréalistes, la violence conjugale et le stress découlant de la nécessité de jouer un rôle plus actif dans la scolarisation des enfants en particulier et dans l’administration des soins en général.
« Le risque d’épuisement professionnel est plus élevé, parce qu’une personne qui travaille à la maison est souvent plus portée à travailler constamment; de plus, certains employeurs croient que leurs employés devraient être disponibles en tout temps et leur envoient des courriels le soir et les week-ends. Bref, les gens finissent souvent par travailler plus qu’ils ne le devraient. »
La Dre Ofosu dit que les signes les plus courants qu’une personne souffre d’anxiété, de dépression ou d’une dépendance ou qu’elle subit de la violence conjugale ne se manifestent pas seulement dans la sphère du rendement. Ces problèmes peuvent aussi entrainer des changements dans l’apparence physique de la personne.
Les employés qui ont constamment l’air exténués ou qui présentent un important gain ou une importante perte de poids sont peut-être en difficulté. Des personnes qui sont habituellement consciencieuses peuvent se mettre à accuser des retards dans leur travail ou à moins bien remplir leur tâches », explique la Dre Ofosu. « Les employeurs doivent être à l’affût de ce type de changements; toutefois, il n’est pas rare qu’ils aient de la difficulté à en parler avec les personnes concernées et, souvent, ils ne savent pas comment s’y prendre. »
Ces sujets délicats requièrent des approches prudentes. La nécessité d’aborder ces questions s’étant faite plus pressante depuis le début de la pandémie, certains employeurs ont pris des mesures innovatrices, dit la Dre Ofosu.
Elle relate que certains employeurs ont institué la semaine de quatre jours sans diminution de salaire. D’autres ont décidé de prévoir des journées de travail ou des blocs d’heures au cours desquelles aucune réunion n’est prévue, afin de permettre au personnel de travailler sans interruption.
« Les interruptions fréquentes peuvent accaparer beaucoup de temps et avoir des effets psychologiques néfastes », dit la Dre Ofosu. « Si une personne est déprimée, il est fort probable qu’elle n’aura ni l’énergie ni la capacité de concentration nécessaires pour effectuer son travail, et par conséquent son rendement chutera, ce qui pourra donner lieu à de l’anxiété. »
Elle dit que certaines entreprises offrent des bons d’achat ou paient pour des applications mobiles vouées à la méditation ou à la relaxation telles que Calm ou Headspace, afin de favoriser un meilleur sommeil et d’inciter les gens à prendre mieux soin d’eux. Certains employeurs offrent, en plus des avantages sociaux habituels, de payer pour une aide psychologique fournie par l’entremise de Snapclarity, un service de thérapie accessible par le biais d’une application mobile. En effet, la psychothérapie, si elle est parfois nécessaire, peut s’avérer très dispendieuse. Les régimes d’avantages sociaux accordent habituellement un montant tournant autour de 500 $ pour la psychothérapie, et par conséquent, les employés finissent souvent par avoir à payer de leur poche une partie du traitement.
Toutefois, il est possible de s’attaquer de front aux problèmes de santé mentale, tout en respectant l’anonymat des employés, ce que font bien des entreprises, dit la Dre Ofosu.
« Les employeurs organisent des ateliers portant spécifiquement sur les questions liées à la santé mentale et des assemblées où certaines de ces questions sont abordées », indique la Dre Ofosu. « Ces outils permettent de fournir une aide sans identifier qui que ce soit. »
La Dre OFosu ajoute que si les gens sont aujourd’hui mieux sensibilisés à la question de la santé mentale en milieu de travail et que les employeurs avisés y prêtent davantage attention, il reste que de nombreuses personnes souffrent encore en silence.
« Mes clients demandent de l’aide parce qu’ils sont en congé de maladie en raison du stress ou d’un épuisement professionnel, et cherchent une façon de quitter le travail la tête haute », dit-elle. « Plusieurs travailleuses et travailleurs qui vivent des difficultés à l’insu de tous se présentent au travail et s’acquittent de leurs tâches sans enthousiasme; ces personnes font ce qu’elles peuvent, mais n’arrivent pas à répondre aux attentes. »
Ressources pour les entreprises :
• Le Workplace Mental Health Resources Centre du CAMH (Centre de toxicomanie et de santé mentale) a élaboré un Manuel de santé mentale pour les chefs d’entreprise ainsi qu’un cadre stratégique.
• Ottawa Public Health a publié Managing Through COVID-19: an Employer's Guide ainsi que plusieurs fiches d’information visant à aider les employés qui sont aux prises avec des troubles de santé mentale pendant la pandémie.
• Le réseau CEO Health + Safety Leadership Network, établi par l’organisme Workplace Safety & Prevention Services, a produit différents articles sur l’épuisement professionnel et la fatigue mentale.
• Le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail (CCHST) fournit sur son site Web une liste de ressources portant sur la santé mentale au travail et de conseils sur le travail en temps de pandémie.
• Le Site officiel du gouvernement du Québec offre diverses ressources sur le stress, l’anxiété et la déprime associés à la COVID-19
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