Par Naomi Grosman    |    Temps de lecture : 20 minutes

Dans le présent Tour d’horizon trimestriel, nous aborderons trois sujets qui touchent le milieu de l’assurance :  les poursuites contre les assureurs et le risque d’insolvabilité de l’industrie ; la réputation de l’industrie dans le contexte de la pandemie ; et les experts en sinistres, les employés de terrain en assurances.

Signe fermé dans une entreprise

Les poursuites contre les assureurs et le risque d’insolvabilité de l’industrie dans le contexte de la pandémie de COVID-19

« Cet état de fait illustre que la plupart des gens ne s’étaient pas procuré cette garantie, et qu’il existe une raison évidente pour laquelle l’industrie exclut ce type [de protection]. »―Alister Campbell, Société d’indemnisation en matière d’assurances IARD (PACICC) 

Partout au Canada, les propriétaires d’entreprises qui ont été forcées de fermer leurs portes en raison de la pandémie de COVID-19 recherchent des moyens de récupérer les pertes économiques qu’ils ont subies.

Cependant, étant donné que l’assurance des pertes d’exploitation ne couvre généralement pas les pertes occasionnées par les pandémies, certains ont choisi d’intenter des poursuites au civil. En avril dernier, le cabinet Merchant Law, qui exerce ses activités en Alberta, a intenté une action collective contre 14 importants assureurs canadiens, en lien avec l’assurance des pertes d’exploitation.

Selon le cabinet d’avocats, les pertes de revenus découlant de la pandémie de COVID-19 devraient être couvertes par l’assurance des pertes d’exploitation, et « les compagnies qui offrent ce type d’assurance manquent à leurs obligations si elles refusent de verser des indemnités au titre des garanties fournies ».

Michael Doerksen, avocat spécialisé en assurance au sein du cabinet Field Law, à Calgary, prévoit qu’il sera très difficile de convaincre les tribunaux que les entreprises ayant subi des pertes de revenus lors de la pandémie de COVID-19 devraient avoir droit à des indemnités aux termes de l’assurance des pertes d’exploitation.

« C’est aux entreprises qu’incombe le fardeau de la preuve… et dans chaque cas, ce sont les diverses circonstances dans desquelles les contrats sont interprétés qui détermineront si une indemnité pourra être versée », dit M. Doerksen. « Étant donné qu’habituellement, l’assurance des pertes d’exploitation fournit une garantie de type tous risques, les assurés devront prouver qu’ils ont subi des dommages matériels directs et que le sinistre (attribuable au virus) est fortuit, ce qui ne sera pas chose aisée. »

La couverture d'assurance en cas de pandémie

Les contrats d’assurance des pertes d’exploitation assortis d’avenants relatifs aux pandémies pouvant couvrir les pertes subies par les entreprises du fait de la COVID-19 sont peu nombreux et coûtent cher, en plus d’être inabordables pour les petites entreprises, nous dit un vice-président directeur du cabinet de courtage HUB International.

« Une poignée d’assureurs d’envergure internationale offrent un nombre limité de contrats d’assurance des pertes d’exploitation comportant des avenants qui couvrent les sinistres attribuables aux pandémies », précise Dave Chmiel, vice-président directeur et directeur national du service des sinistres au sein du cabinet de courtage HUB. « Mais à l’instar de la cyberassurance, ces contrats coûtent très cher, et je dirais qu’ils sont difficilement accessibles à la plupart des entreprises de taille moyenne. »

M. Chmiel ajoute que pour les petites entreprises, comme les restaurants, une assurance couvrant les pandémies pourrait coûter jusqu’à 70 000 $.

Selon lui, « pratiquement toutes les petites entreprises refuseraient de payer ce prix ».

M. Chmiel indique que depuis l’éclosion de SRAS, en 2002-2004, on trouve de plus en plus souvent sur le marché des garanties couvrant les dommages causés par des pandémies lors d’importants événements sportifs tels que le tournoi de tennis de renommée mondiale de Wimbledon.

« Pour ce type d’événement, un avenant relatif aux pandémies annexé à un contrat d’assurance des pertes d’exploitation vaut vraiment l’investissement », poursuit M. Chmiel. « Le problème, c’est qu’au Canada et aux États-Unis, ce sont les petites et les moyennes entreprises qui sont frappées le plus durement par la COVID-19, la pandémie leur ayant fait perdre les deux tiers de leurs revenus. »

Les implications de solvabilité

Selon l’agence de notation A.M. Best, chez nos voisins du sud, les législateurs tant au palier fédéral qu’au niveau des États cherchent des façons de forcer les assureurs à indemniser les assurés pour les pertes d’exploitation résultant de la COVID-19, qui sont habituellement exclues des contrats d’assurance des pertes d’exploitation. Si ces démarches réussissent, les assureurs risquent d’être aux prises avec de graves problèmes d’insolvabilité.

Ici, au Canada, les actions collectives telles que celle intentée par Merchant Law, si elles se soldent par une victoire des demandeurs, pourraient compromettre la solvabilité de l’ensemble de l’industrie canadienne de l’assurance, prévient M. Doerksen du cabinet Field Law.

« Lors de catastrophes survenues au Canada par le passé, comme les inondations de Calgary ou l’incendie de Fort McMurray, les assureurs ont pu compter sur l’ensemble des primes touchées partout au pays », poursuit-il. « Si les poursuites intentées à la suite de la crise de la COVID-19 mènent à une victoire des demandeurs, on pourrait s’attendre à une avalanche de demandes d’indemnité présentées aux termes des contrats d’assurance des pertes d’exploitation, ce qui entraînerait de graves problèmes d’insolvabilité. »

Alister Campbell, président et chef de la direction de la Société d’indemnisation en matière d’assurances IARD (PACICC), un organisme canadien voué à la protection des consommateurs en cas d’insolvabilité des compagnies d’assurance, indique qu’avant la crise de la COVID-19, les assureurs canadiens étaient « fort bien pourvus en capitaux ».

Toujours selon M. Campbell, si les tribunaux jugent que les entreprises ont droit à une protection couvrant les pandémies, ce jugement ne tiendra aucun compte du lien entre les conséquences d’une telle protection, sur le plan de la solvabilité des assureurs, et la stabilité financière actuelle de l’industrie de l’assurance.

« Cette situation présenterait un risque pour l’industrie, mais il est peu probable qu’elle advienne », affirme M. Campbell. « Les assureurs n’ont pas touché de primes en vue d’assumer de tels paiements; de plus, ils ne possèdent pas de provisions et n’ont pas établi d’ententes de réassurance pour un risque qu’ils n’ont jamais eu l’intention de couvrir. »

Il ajoute qu’au Canada, quelques assureurs ont reconnu que le libellé de certains contrats d’assurance pour dentistes ainsi que pour certains programmes liés à l’hébergement indique que les pertes résultant d’une pandémie sont couvertes.

« Au moins une compagnie a reconnu que ce type de libellé donnerait lieu à d’importantes pertes, la garantie étant plutôt généreuse », dit M. Campbell. « Étant donné que l’interprétation de ces contrats ne laisse aucune place au doute et que le libellé indique clairement que la garantie s’applique, les indemnités seront versées et la réassurance entrera en jeu. »

Il affirme que le fait que les autres entreprises se voient refuser une indemnité aux termes de leur contrat d’assurance des pertes d’exploitation montre que l’industrie n’a jamais eu l’intention de couvrir les pertes attribuables à des pandémies comme celle de la COVID-19.

« Cet état de fait illustre que la plupart des gens ne s’étaient pas procuré cette garantie, et qu’il existe une raison évidente pour laquelle l’industrie exclut ce type [de protection] », dit M. Campbell. « En effet, le principe de base de l’assurance est de regrouper des fonds se rapportant à un même risque afin d’être en mesure de couvrir les sinistres qui touchent un petit nombre d’assurés; les indemnités sont payées grâce aux primes versées par un grand nombre d’assurés. »

M. Campbell conclut en disant que « dans le cas d’événements tels que la présente pandémie, qui touchent pratiquement tout le monde, les assureurs ne peuvent procéder à la tarification ou à la sélection des risques. Les pertes subies doivent être compensées par le gouvernement et non par les compagnies d’assurance privées. »

Une des principes fondamentaux de l'assurance (C16: L'industrie des assurances2010, Institut d'assurance):

« Si les primes exigées étaient très insuffisantes, et si de trop nombreux sinistres devaient être réglés, l'assurance en tant que système de gestion du risque ne tarderait pas à s'écrouler. »

M. Doerksen dit que si l’action collective est portée devant les tribunaux, advenant le cas où elle serait autorisée, la cour devra interpréter la nature et l’étendue de l’assurance conformément à la loi, et si une ambiguïté est décelée, il lui faudra tenir compte des implications d’un jugement en faveur des demandeurs.

Selon lui, « cette décision devrait être prise en posant la [question] suivante : si la catastrophe touche une nation tout entière, le renflouement de la totalité des entreprises relève-t-il vraiment de l’assurance privée? »

Comme dans toute action au civil, il est probable qu’il faille attendre des années avant d’en arriver à un jugement final.

« En Alberta, la période de prescription est de deux ans, ce qui donne pas mal de temps pour intenter des poursuites, même si je ne vois pas pourquoi on devrait attendre », dit M. Doerksen. « Si une entreprise présente une demande d’indemnité dans des délais raisonnables et que l’assureur rejette cette demande, l’assuré ne perdra pas de temps et intentera des poursuites. »

M. Campbell, de la PACICC, dit que l’organisme examine de près ce qui se fait dans les autres territoires, afin de déterminer quelles décisions judiciaires pourraient avoir des implications au Canada, compte tenu du fait que les assureurs exerçant leurs activités à l’international fournissent un tiers de la capacité d’assurance au Canada.

« Si quelque chose de préoccupant se produit ailleurs… les conclusions des tribunaux pourraient avoir un effet d’entraînement », conclut M. Campbell. « Or l’industrie de l’assurance a adopté la même approche partout dans le monde en ce qui a trait à la couverture des pandémies, et il serait étonnant que les tribunaux, dans quelque partie du globe que ce soit, en arrivent à la décision que les assureurs devraient couvrir ces pertes. »

La réputation de l’industrie dans le contexte de la pandémie de COVID-19

« Il n’existe pas de plan tout tracé d’avance en ce qui a trait aux modes de communication avec les consommateurs dans le contexte d’une crise comme celle-ci. »―Pete Karageorgos, Bureau d’assurance du Canada

Si l’industrie de l’assurance a souvent eu à répondre aux préoccupations et aux attentes des consommateurs au lendemain de catastrophes naturelles de grande envergure, les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur la population canadienne sont sans précédent. De plus, il n’existe aucun guide indiquant les meilleures pratiques à adopter par les assureurs en matière de communications en période de pandémie.

« Il n’existe pas de plan tout tracé d’avance en ce qui a trait aux modes de communication avec les consommateurs dans le contexte d’une crise comme celle-ci », dit Pete Karageorgos, directeur, Relations avec les consommateurs et l’industrie au Bureau d’assurance du Canada. « L’un de nos défis a été d’arriver à communiquer efficacement, dans une situation où des considérations liées à la santé et à la sécurité étaient de première importance; la vraie difficulté a consisté à transmettre des directives qui soient conformes aux messages relatifs aux effets du virus sur la santé. »

M. Karageorgos dit que les membres de l’industrie se sont entendus pour proposer les mêmes mesures, à savoir une réduction des primes d’assurance automobile pour les conducteurs qui utilisent moins souvent leur voiture, des allègements pour les personnes privées de revenu et des ajustements de garantie pour les employés devant travailler à domicile. Dès le début, les consommateurs ont posé des questions à ce sujet.

« Nous rappelons sans cesse que les compagnies d’assurance sont là pour collaborer avec [les consommateurs] et qu’il importe de parler directement aux représentants… nous aiguillons les consommateurs vers les courtiers, les agents et les compagnies pour qu’ils obtiennent des réponses et du soutien », dit M. Karageorgos. « Ça n’a pas toujours été facile, car ce n’est pas évident, pour les consommateurs, de s’y retrouver dans toutes ces mesures, et nous leur faisons constamment savoir que nous sommes là pour les aider. »

Il ajoute que malgré les efforts déployés par le BAC et ses compagnies membres pour transmettre un message cohérent aux consommateurs sur les questions relatives à l’assurance dans le contexte de la COVID-19, les assureurs n’ont pas tous employé la même stratégie pour aider leurs clients, ce qui a pu donner lieu à une certaine confusion.

« Les courtiers, en particulier ceux qui collaborent avec de nombreuses compagnies d’assurance, trouvent difficile d’avoir à expliquer plusieurs options différentes, et [il n’y a aucun] consensus au sein de l’industrie en ce qui a trait à la bonne façon de procéder », ajoute M. Bagazzoli. « Ce qui est difficile, c’est d’obtenir des renseignements précis et de les transmettre aux clients. »

Selon lui, du point de vue des relations publiques, le fait de ne pas avoir de message plus cohérent à transmettre aux consommateurs pourrait s’avérer problématique.

« C’est une bonne chose que les assureurs aient essayé d’aider les consommateurs, c’est même une excellente chose, mais l’absence de consensus au sein de l’industrie signifie que les courtiers doivent justifier les décisions de chaque compagnie », dit M. Bagazzoli. « L’industrie aurait dû établir des normes minimales auxquelles les clients auraient pu s’attendre, ce qui aurait amélioré l’efficacité des relations publiques et rendu les interventions des assureurs plus cohérentes. »

M. Bagazzoli insiste pour dire que les courtiers prennent toujours le temps d’expliquer pourquoi il existe des disparités entre ce que proposent les différents assureurs, et que les assureurs canadiens sont stables et ont toujours bonne réputation.

Mais il ajoute que l’efficacité des interventions des courtiers auprès de leurs clients est directement liée à la relation qu’ils ont établie au préalable avec ces clients.

« Les courtiers qui n’avaient pas déjà établi une solide relation de confiance avec leurs clients… risquent de ne pas pouvoir conserver ces clients pendant bien longtemps au sortir de la présente situation », dit M. Bagazzoli. « Ces courtiers vont avoir de la difficulté à expliquer les nouvelles réalités à des clients qui n’ont pas confiance en leur compagnie d’assurance et ne comprennent pas son importance; leur tâche sera beaucoup plus difficile. »

Généralement, toujours selon M. Bagazzoli, les courtiers sont compétents et ont établi une bonne relation avec leurs clients, sur laquelle ils peuvent s’appuyer dans la situation de crise que nous traversons actuellement.

Mais il affirme que la principale faille de l’industrie en matière de relations publiques dans le contexte de la COVID-19 découle de la confusion entourant l’assurance des pertes d’exploitation, et que cette confusion est attribuable au libellé des contrats d’assurance.

Qu'est-ce qu'il y a dans un nom

« Il existe une grande confusion, créée par notre industrie, en ce qui a trait aux contrats d’assurance que nous appelons “tous risques”, car ce terme peut laisser croire au client que tous les dommages seront couverts en dépit des exclusions », dit M. Bagazzoli. « Pourquoi alors les clients croiraient-ils que les [pertes découlant d’une pandémie] seraient exclues? »

M. Bagazzoli poursuit en disant que l’assurance des pertes d’exploitation devrait être offerte en utilisant le terme « multirisque » plutôt que « tous risques », parce que ce dernier terme est trompeur et fallacieux.

Il affirme que pour sa part, à partir de maintenant, il n’utilisera plus le terme « garantie tous risques » lorsqu’il offrira à ses clients de l’assurance des pertes d’exploitation, et qu’il vaudrait mieux que les décideurs de l’industrie revoient le libellé de ces contrats.

« Les clients ne comprennent pas cette terminologie technique, ni le jargon de l’industrie », poursuit M. Bagazzoli. « Les courtiers essaient de simplifier les termes lorsqu’ils vendent des contrats d’assurance, mais aujourd’hui nous sommes obligés de nous justifier, alors j’espère que nous arriverons bientôt à régler ce problème. »

Il ajoute que l’industrie a déjà apporté par le passé des changements importants à ses contrats d’assurance; elle a agi conjointement avec les différents ordres de gouvernement afin de remédier à d’importantes lacunes dans les garanties offertes.

« L’industrie doit faire ce qu’elle a fait lorsqu’elle a rencontré des problèmes à la suite des grandes inondations », suggère M. Bagazzoli. « Avant [2013], les seules garanties couvrant les dégâts d’eau étaient celles relatives aux refoulements d’égout et aux bris de tuyaux et aujourd’hui, les assureurs offrent une garantie contre les inondations imputables aux eaux de surface; elle a répondu adéquatement à un nouveau besoin. »

M. Karageorgos, du BAC, indique que le Bureau a reçu des demandes de renseignements de la part des consommateurs en ce qui a trait aux contrats d’assurance des pertes d’exploitation et de leur application en cas de dommages découlant d’une pandémie.

Questions et réponses sur l'assurance entreprise, La COVID-19 : Renseignements sur l’assurance habitation, automobile et entreprise au Canada (BAC, Mise à jour le 24 avril 2020):

Ma police d’assurance commerciale standard ou ma police d’assurance des pertes d’exploitation me couvrira-t-elle en cas d’interruption attribuable à la COVID-19?

• En règle générale, les polices d’assurance commerciale et les polices traditionnelles d’assurance des pertes d’exploitation ne couvrent pas les pertes d’exploitation ou les interruptions de la chaîne d’approvisionnement imputables à une pandémie telle que le COVID-19.

• Certaines organisations pourraient avoir souscrit une assurance contre la carence des fournisseurs, une couverture individuelle des pertes d’exploitation et une protection contre les interruptions de la chaîne d’approvisionnement dont les garanties pourraient être déclenchées à la suite de la déclaration de pandémie par l’Organisation mondiale de la Santé.

• L’assurance commerciale est un domaine complexe et spécialisé; elle est spécifique à votre entreprise. Ne manquez pas de vous adresser à votre représentant d’assurance si vous avez des questions ou avez besoin de précisions sur votre protection.

Mais il existe un problème bien connu, qui est ressorti avec force à la suite des inondations qui ont frappé Calgary en 2013, et qui se pose encore aujourd’hui dans le cadre de la crise provoquée par la COVID-19 : les clients ont tendance à ne comprendre la portée réelle de leur contrat d’assurance qu’à la suite d’un sinistre, ce qui met en évidence la nécessité d’éduquer les consommateurs.

« C’est là un aspect essentiel : les gens doivent comprendre leur contrat d’assurance avant que n’advienne une situation où ce contrat doit entrer en jeu », affirme M. Karageorgos. « Nous essayons régulièrement, par le truchement des différentes communications du BAC, de rejoindre le public pour le renseigner; nous contribuons ainsi à rehausser la réputation de l’industrie en faisant savoir aux gens que nous sommes là pour leur fournir de l’aide et du soutien non seulement après un sinistre, mais aussi avant. »

Il ajoute qu’il n’est pas impossible que la crise de la COVID-19 entraîne des changements dans le domaine de l’assurance des pertes d’exploitation.

« Il nous faudra sans doute examiner, à la suite de la pandémie, ce qui est offert sur le marché en matière d’assurance des pertes d’exploitation ainsi que la disponibilité des garanties », dit M. Karageorgos. « Après Calgary, l’assurance contre les inondations n’était pas largement disponible, mais les choses ont changé depuis. Il se peut qu’une évolution semblable se produise à la suite de la pandémie pour l’assurance des pertes d’exploitation, mais aucun changement ne sera mis en œuvre tant que les enjeux de santé publique n’auront pas été réglés à l’échelle de l’ensemble de la société. »

Les employés de terrain en assurance

« Nous devons faire preuve de prudence, parce que les experts en sinistres tiennent à aider les gens et veulent procéder aux inspections et donner des conseils; cependant, il est parfois nécessaire de réduire les contacts pour faire en sorte que l’expert en sinistres se sente en sécurité, mais il nous faut aussi veiller au bien-être de l’assuré. »―Jim Eso, Crawford & Company Canada

Comme d’autres secteurs de l’économie, l’industrie de l’assurance a dû s’ajuster à la nouvelle réalité du télétravail, en raison de la crise de la COVID-19. Mais les activités d’assurance ne sont pas toutes compatibles avec les directives gouvernementales en matière de télétravail. Dans l’industrie de l’assurance, les experts en sinistres sont des employés qui doivent travailler sur le terrain.

La pandémie n’empêche pas la survenance de sinistres complexes, comme ceux qui ont résulté des inondations de Fort McMurray, Alberta, en avril dernier.

Jim Eso, vice-président principal, Services de demandes d’indemnisation chez Crawford & Compagnie (Canada) Inc., une firme d’experts en sinistres indépendants d’envergure mondiale, affirme que son entreprise a été en mesure de mobiliser rapidement son personnel à la suite des inondations de Fort McMurray et d’éviter les restrictions gouvernementales en matière de déplacements.

« Nous avons eu de la chance, parce que nous avions ouvert des bureaux à Fort McMurray en 2016 lors des incendies », relate M. Eso. « À l’époque, ces bureaux étaient censés être temporaires, mais ils sont devenus permanents, ce qui a permis à nos experts en sinistres d’être fin prêts à intervenir, et à l’équipement de protection individuelle d’être rapidement mis à leur disposition… les experts ont donc eu plus de facilité à observer les directives gouvernementales en matière de santé et de déplacements, et n’ont pas été tenus d’observer des périodes de quarantaine. »

Il ajoute qu’à Fort McMurray, les experts en sinistres de Crawford ont eu plus souvent recours à l’application We Go Look, qui permet l’expertise des sinistres à distance.

Les produits WeGoLook de Crawford permettent aux entreprises d’améliorer leur efficacité. Selon le site Web de Crawford, « WeGoLook combine la technologie avec du personnel à la demande de plus de 40 000 observateurs pour aider les entreprises à rassembler et à valider des informations à tout moment, n’importe où. »

« Nous pouvons utiliser l’application en tant qu’outil de triage pour déterminer quels sont les dossiers les plus urgents; jusque-là, elle n’avait servi qu’à des fins de contrôle des coûts et d’économie de temps, mais elle est devenue un outil de sécurité », dit M. Eso.

Selon Dara Banga, président et directeur des activités sinistres à la compagnie DBS Claims Solutions, située à Brampton, Ontario, même si nous traversons une pandémie, il s’agit d’une situation comme n’importe quelle autre pour les experts en sinistres, qui doivent être présents en toutes circonstances auprès des titulaires de contrat.

Depuis les tout débuts de la pandémie, relate-t-il, des membres de l’équipe de DBS Claims Solutions ont veillé à ce que les titulaires de contrats fassent l’objet d’un dépistage préliminaire pour les symptômes de la COVID-19 avant d’affecter un expert au règlement d’un sinistre.

« Nous avons fait appel à des spécialistes pour superviser le processus de dépistage préliminaire… parce que la sécurité de nos experts en sinistres et de nos assurés nous importe par-dessus tout, [et] nous disposons des renseignements appropriés sur la distanciation sociale, le port de gants et de couvre-visages… la limitation du nombre de personnes par pièce et la nécessité d’obtenir des précisions concernant les lieux à visiter et le temps maximum que l’on peut y demeurer », dit M. Banga. « Nous avons aussi recours à la technologie, lorsque cela est possible, pour effectuer un triage des sinistres avant de prescrire une visite des lieux en personne. »

Les représentants de Crawford et de DBS Claims Solutions affirment tous deux que malgré la situation de pénurie d’équipement de protection, surtout au début de la pandémie, leur entreprise a pu s’appuyer sur une solide relation avec les fournisseurs, ce qui leur a permis d’assurer la sécurité physique de leurs experts en sinistres et d’appliquer les normes de protection les plus strictes.

Mais les risques sanitaires découlant de la pandémie ne se limitent pas à l’aspect physique, car bien des gens sont aux prises avec des problèmes d’anxiété liés au nouveau virus ainsi qu’avec des difficultés économiques attribuables à l’interruption des activités économiques.

L'aspect santé mentale

« Nous sommes à l’écoute et comprenons la situation », affirme M. Banga. « Certains de nos clients propriétaires de résidence éprouvent des difficultés financières ou doivent demeurer confinés en raison de problèmes de santé; en général, le degré d’anxiété est plus élevé en raison de la pandémie. »

Les experts en sinistres de DBS Claims Solutions ont reçu une formation sur l’importance de faire preuve d’empathie envers les titulaires de contrat et de créer avec eux des liens plus humains en temps de pandémie et dans toute autre situation.

« Le règlement d’un sinistre ne consiste pas seulement à émettre un chèque, et chaque sinistre a son importance », ajoute M. Banga. « Pour nous, il ne s’agit pas d’un travail, mais plutôt d’une passion et… il importe de savoir créer des liens à l’échelle humaine pour être en mesure de comprendre les attentes et d’y répondre adéquatement. »

Pour Crawford, il est de la plus haute importance d’atténuer le sentiment d’anxiété des titulaires de contrat, et la protection de l’équilibre mental du personnel fait partie des objectifs à atteindre dans le cadre du plan d’urgence de l’entreprise en temps de pandémie.

« Notre équipe des RH est régulièrement en conversation avec le personnel de tous les coins du pays, grâce à des ressources d’aide en ligne accessibles 24 heures sur 24 », précise M. Eso. « Dès les premiers jours de la pandémie, nous avons clairement indiqué aux membres de notre personnel que leur sécurité était primordiale. Nous avons une règle selon laquelle aucun expert en sinistres ne doit être placé dans une situation dans laquelle il n’est pas à l’aise. Si un expert ne se sent pas en sécurité, il n’est pas tenu de se rendre sur les lieux d’un sinistre. »

Selon M. Eso, les gens sont nerveux, et Crawford veille à faire circuler les renseignements de base en matière de mesures de santé publique comme le lavage des mains et l’usage de désinfectant, le port du couvre-visage et la distanciation sociale.

« Il s’agit là des mesures de base visant à réduire le stress, et… il y a aussi un aspect humain, car les titulaires de contrat sont nerveux; il nous faut donc nous assurer d’être en conversation constante avec les clients, ce qui constitue une exigence que les experts en sinistres doivent respecter lorsqu’ils prennent en charge un sinistre », poursuit M. Eso. « Nous devons faire preuve de prudence, parce que les experts en sinistres tiennent à aider les gens et veulent procéder aux inspections et donner des conseils; cependant, il est parfois nécessaire de réduire les contacts pour faire en sorte que l’expert en sinistres se sente en sécurité, mais il nous faut aussi veiller au bien-être de l’assuré. »

Mark MacDonald, directeur du service des sinistres de la région de l’Atlantique chez Assurance Economical, dit que son équipe d’experts travaillant par téléphone a remarqué que la pandémie n’avait pas les mêmes effets chez tous les titulaires de contrat.

« Cette crise peut être source de stress, car elle est au cœur des préoccupations de tous », dit-il. « On a vu des clients ayant subi un sinistre hésiter à faire appel à des entrepreneurs pour effectuer des travaux… certaines personnes sont plus nerveuses, tandis que d’autres s’accommodent de la situation. L’on assiste à toute la gamme des réactions possibles, mais au bout du compte, il faut tout de même procéder au règlement des sinistres. »

Il dit que le télétravail a été une expérience intéressante, mais que le fait, pour les employés, de ne plus avoir de contacts entre eux constitue l’une des conséquences malheureuses de la pandémie.

« Le fait de ne plus avoir la possibilité de se trouver tous au même endroit et de communiquer en personne constitue probablement l’impact le plus négatif de la pandémie », affirme M. MacDonald. « Nous continuons d’accomplir notre travail et nous tentons de remédier à cette lacune en ayant recours aux appels vidéo et en [communiquant] plus fréquemment, mais la perte de contacts en personne a constitué un important inconvénient. »

La teneur des demandes d’indemnité en assurance des biens

Les experts en sinistres ont remarqué un autre phénomène attribuable à la COVID-19, à savoir que la teneur des demandes d’indemnité en assurance des biens a changé depuis le début de la pandémie, affirme M. Banga de DBS Claims Solutions.

« Pour ce qui est de l’assurance des particuliers, étant donné que les gens passent plus de temps à la maison, nous avons constaté une augmentation des demandes d’indemnité suivant un incendie, mais, en revanche, un nombre moins élevé de demandes d’indemnité consécutives à un vol avec effraction, et les dégâts d’eau sont d’une gravité moindre, car les assurés sont en mesure de réagir plus tôt afin de réduire les pertes », ajoute M. Banga. « Du côté des entreprises, nous avons constaté un nombre accru de vols et davantage de cas de vandalisme, bien des entreprises ayant dû fermer leurs portes. De plus, on procède dorénavant à un plus grand nombre d’enquêtes entourant les pertes d’exploitation. »

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